Les élections garantissent-elles la démocratie ?

Article paru dans BIOTEMPO n°53 septembre 2022

Anne Deligné

Notre démocratie est à bout de souffle

Comment la réveiller ?

La démocratie, tout le monde la souhaite, mais personne n’y croit plus. C’est pourtant elle qui pourrait générer un gouvernement pour et par le peuple. Dans son livre « Contre les élections », l’historien David Van Reybrouck développe les moyens concrets pour revigorer cette démocratie. En commençant par remplacer progressivement le vote par le tirage au sort.

Pour cadrer notre réflexion, une simple question s’impose. Les élections garantissent-elles la démocratie ? Hitler, par exemple, a été élu. Certains élus s’octroient des pouvoirs et usent d’une autorité que leurs électeurs ne souhaitent en aucune façon. La voix du peuple n’est demandée que tous les quatre ou cinq ans, est-ce suffisant ? Par ailleurs, l’absentéisme électoral est devenu le principal courant politique en Occident. Nos démocraties sont atteintes du syndrome de fatigue démocratique. Nos représentants ne nous représentent pas. Nous ne sommes plus satisfaits de cette démocratie-là. Le système actuel est caduc. Alors, que faire ?

Selon la déclaration universelle des droits de l’homme[1] « La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote ».

Le politicien devrait rendre des comptes, et être remplacé tous les 4 ou 5 ans sans possibilité de réélection ; il devrait aussi être jugé par ses pairs. Les élus d’aujourd’hui sont trop obsédés par leur réélection. Or, il y a mieux que les élections, nous dit David van Reybrouck : c’est le tirage au sort qui semble être le meilleur système.

Le leadership en politique ne consiste pas à prendre des décisions au nom du peuple, mais à enclencher des processus avec le peuple ; si on le traite en adulte, il se comportera en adulte. Ne serait-il pas temps que les politiciens fassent confiance aux citoyens, et leur donnent le pouvoir, pour que ce pouvoir soit équitable ?

Elus

Depuis deux siècles, le système représentatif a installé la conviction que les affaires publiques ne peuvent être gérées que par des individus exceptionnels. Le grand reproche que ces individus font au tirage au sort est l’incompétence supposée des personnes non élues ! Les mêmes raisons étaient avancées contre le droit de vote des ouvriers ou des femmes, il n’y a pas si longtemps. Les élus, tout comme les non-élus, ne sont pas toujours compétents, ils s’entoureraient d’équipes d’experts, à condition bien-sûr, que ces derniers ne soient pas eux-mêmes sous l’influence des lobbies, bien trop puissants aujourd’hui. Il y a encore place pour des réflexions sur ce sujet…

Tirés au sort

Plusieurs expériences de tirage au sort sont mises en pratique aujourd’hui en Irlande, en Islande, au Danemark, en Belgique germanophone, à divers niveaux. Le travail entre élus et citoyens non élus permet des discussions sereines. Les « tirés au sort » n’ayant pas peur de ne plus être réélus, ils peuvent donc penser à long terme. Ce travail en commun permettrait de rétablir un certain calme. Les politiciens élus, se sentiraient épaulés par une assemblée où l’intérêt général prime.

Montesquieu, Rousseau, Aristote, disaient que le tirage au sort est un instrument démocratique alors que les élections sont, elles, un instrument aristocratique, car à l’origine, elles servaient à mettre au pouvoir les élites.

Le débat indispensable

D’autres outils de participation citoyenne existent, citons les sondages ou les referendums, mais ils ne sont pas suffisants, parce que les citoyens ne se parlent pas. Or, parler est indispensable, non seulement pour que la confiance s’installe, mais aussi pour échanger des informations indispensables à toute décision importante. Nous avons malheureusement vu dans l’histoire du COVID que ces discussions ont été interdites et même censurées. C’est exactement le contraire qu’il aurait fallu faire : accepter les débats contradictoires afin de stimuler les réflexions.

Les outils d’information par contre se multiplient à l’heure du numérique. Mais à nouveau, ces échanges manquent de réel dialogue ; ce ne sont trop souvent que des idées lancées. On ne s’y parle pas et en réalité, on s’engage bien peu.

Infantilisation et corruption

Le citoyen est adulte et doit être reconnu comme tel. Le politique semble non seulement avoir peur du peuple, mais le pense incapable de réfléchir ; il le traite comme un enfant ; il se croit supérieur. Les citoyens aspirent à plus de participation, la frustration augmente et le peuple se sent bafoué. Le citoyen entend avoir le droit à l’expression. Or, c’est la liberté d’expression qui est bafouée.

D’après Transparency International[2], dans le monde entier, les partis politiques sont rangés parmi les institutions les plus corrompues de la planète ! Une situation qui devient intenable. Les vérités qui sont mises à jour concernant la gestion du COVID-19 par exemple, sont tout simplement censurées. La méfiance des citoyens vis-à-vis des politiques est aujourd’hui immense.

Il n’a pas été difficile de se rendre compte que le pouvoir national est assujetti au pouvoir européen qui lui, s’est assujetti à la haute finance internationale ! On peut parler de « ploutocratie »[3].

La proposition

Il existe d’autres moyens pour représenter le peuple, pour que celui-ci se sente représenté : le modèle bi-représentatif. C’est, selon David van Reybrouck, le meilleur remède à cette fatigue démocratique actuelle, car il réduirait drastiquement la méfiance réciproque qui existe aujourd’hui entre gouvernants et gouvernés. Le tirage au sort de citoyens représentatifs pour délibérer et décider, aux côtés des politiques et de la gouvernance de leur pays, est la meilleure solution. C’est ainsi seulement, par la démocratie participative bi-représentative, que l’on parviendra à pacifier nos sociétés. Ce système bi-représentatif aurait une Chambre avec élus, et un Sénat avec des citoyens tirés au sort, dont les recommandations devraient obligatoirement être discutées et présentées au reste de la population par les médias.

La société civile, y compris les politiciens non corrompus – il y en a – est prête pour aller plus loin : supprimer les partis politiques, et voter pour des hommes et des femmes qui se seront fait connaître, grâce au tirage au sort, pour leur sagesse, leur engagement gratuit et ce, partout en Europe. La question se pose :  à partir du moment où la citoyenneté participative est en place, reconnue, acceptée, fonctionnelle, avons-nous encore besoin de partis politiques ?

L’Europe devrait motiver les pays à trouver une nouvelle participation citoyenne. Diverses formes d’implication citoyenne existent déjà et sont très variées. Un rapport récent de l’OCDE tire douze modèles de processus délibératif différents de quelque 282 cas de démarche participative recensés entre 1986 et 2019.

Un changement fondamental secoue les institutions démocratiques, essentiellement des pays développés. Des assemblées, conférences et autres conventions citoyennes, se mettent à prospérer, à l’échelle locale ou nationale[4]. L’avenir nous apportera-t-il ce changement tellement attendu ?

Ça se passe déjà chez nous

  • L’Ostbelgien, ou Belgique de l’Est Allemande, a réinventé en 2019 son modèle de décision politique. Un « conseil des citoyens » alimente désormais le travail du Parlement en faisant réfléchir des citoyens tirés au sort sur les sujets de son choix. L’Ostbelgien innove la démocratie en mettant en place un organe permanent de démocratie délibérative et représentative.
  • L’Ostbelgien rassemble près de 80 000 habitants, et dispose de son propre Parlement de 25 députés et de son propre gouvernement composé de 4 ministres. N’étant ni un Etat, ni une région, ni une commune, cette communauté s’insère entre plusieurs niveaux administratifs et ne dispose donc que de certaines compétences. Elle est en particulier compétente en matière de culture, d’enseignement, de tourisme, d’aménagement du territoire, de logement, et de soins de santé. Le Parlement de l’Ostbelgien ne peut donc légiférer que dans ces domaines.
  • Il existe un dispositif permanent de délibération : le « conseil des citoyens » dont la principale compétence est d’organiser des panels de citoyens sur les sujets de son choix. La principale faiblesse du dispositif est sa capacité limitée à contraindre le travail des députés. Les membres du Parlement ne sont pas tenus de les mettre en œuvre, ils sont seulement tenus d’étudier les propositions et d’y fournir une réponse argumentée.

Sources : Foulques Renard, 10  janvier 2022, sur citoyensdedemain.org

Pour aller plus loin : « Contre les élections », David Van Reybrouck, Editions Actes Sud, 2014

[1] Adoptée à Paris (au Palais de Chaillot) par l’organisation des Nations unies le 10 décembre 1948

[2] Transparency International : mouvement international pour lutter contre l’injustice et la corruption.

[3] Gouvernement par les riches : du dieu Ploutos = dieu de la richesse et Kratos = pouvoir